JOËL BRISSE

du 2 juillet au 25 septembre 2022

Notre première exposition a montré les oeuvres de Joël BRISSE. Peinture vibrante et colorée, habitée par des personnages singuliers et fantomatiques.

Les vivants de Joël ne se manifestent jamais comme sujets uniques du tableau. Ils ont besoin, pour que leur histoire se raconte, de l’histoire des paysages dans lesquels la peinture les expose.

Pas besoin de brasser des foules, il suffit de quelques corps pris dans l’instant, occupés qu’ils sont à vraiment pas grand-chose dans leurs cadres de vie champêtres et urbains.

Ils n’ont en gros qu’à être juste là. Apparaître aussi là où on ne les attend pas, comme un loup dans l’image. 

Le geste du peintre au travail les a stoppés dans le leur, dans leurs mouvements et décisions qui resteront en rade, et les voilà suspendus, éternellement, sans raison ni perspective, comme celle qui court ou celui qui s’élance au beau milieu du tableau, au-dessus des collines ou des villages.

Incontestablement humains et bien reconnaissables ils ne sont pourtant pas autre chose que figures de peinture. 

La peinture de Joël dit, voilà mes vivants peints et la nature peinte qui les porte, les vifs de mon sujet. Encore que le sujet et la nature soient toujours sujets à caution et remis en chantier par la peinture en train de se faire. Et qui ne lâche, la peinture, jamais rien.

Le réel, chez Joël, est toujours à portée de main, reconnaissable, sans doute, mais tellement modifié qu’il bifurque et nous dit autre chose, la peinture l’a retourné comme une image perdue.

Le réel désorienté ne fait plus sujet, ne fait plus paysage, ne fait plus pont ne fait plus vigne, portrait, ni ciel, il fait tout simplement tableau, histoire du temps que le peintre a passé à peindre en se posant des questions de peinture, simples et complexes on peut imaginer, concrètes tout le temps,  histoire d’une surface vierge où le peintre avec son  œil exercé à voir le monde autrement qu’il se donne y a jeté toutes les fictions qu’il veut, histoire enfin de cette durée singulière qui est celle d’une peinture en train de se faire et qui n’a rien à voir avec celle des narrations.
Extraits de « Quand la peinture fait des histoires de tout », Noël Renaude, 2021

C’est qu’il y a, chez Joël Brisse une mystique de la peinture conçue comme le débordement de la représentation, la fracture de son cadre, clôture forcée pour éclairer le réel dans un effort qui fonde le mysticisme du peintre auquel une forme de foi est nécessaire sauf à renoncer pour se consacrer à la répétition du même. C’est-à-dire à une production d’images, vaines. En cela, le peintre est poète, visant à une plus grande pureté, au-delà de « l’universel reportage » qui avilit « les mots de la tribu », disait Mallarmé.

Voir ce qui est, voir ce que le regard peine à distinguer, c’est, pour le peintre, s’emparer du réel dont il s’agit de manifester la présence et il lui faut « Essayer. Essayer encore », jamais quitte, souvent insatisfait pourtant. À Beckett, on pourrait emprunter d’autres mots, ceux avec lesquels il évoque la peinture d’Abraham Van Velde, « peinture de la chose en suspens […] la chose seule isolée par le besoin de voir. La chose immobile dans le vide. Voilà enfin la chose visible. »

Dans tout cela, à chaque jour qui voit reprendre le travail sur cette toile apposée au mur de l’atelier avant d’être tendue sur son châssis, est donnée une joie de peindre sensible à qui veut bien plonger son regard dans cette fenêtre ouverte entre les quatre coins du tableau.  Il y a peu, une anguille troublant le plan de la toile d’une contorsion qui la dérobe ou la révèle ; un kimono, merveilleuse surface flottante devenue un autre tableau pour exposer des fleurs qui semblent ne pouvoir éclore ailleurs ; et puis un chien, compagnon des années passées, contemplant le pan de mur jaune  de la maison qui, en retour, éclaire sa silhouette ; ou bien encore la table roulante de l’atelier, encombrée de pots, de pinceaux, de chiffons, ordinaire et devenue simplement évidente d’être posée dans rien d’autre ; des voisins, étrangers familiers, debout dans la couleur qui porte et traverse chacun ; les vignes, à deux pas de l’atelier, qui désignent, noueuses, un affrontement vert et orange et bleu nuit qui est peut-être une conjonction ; un arbre, somptueux, dont l’expansion rhizomique s’est emparée de tout le visible ; le bateau flottant dans la ramure ; tout cela fait aujourd’hui les tableaux de Joël Brisse, tableaux qu’on ne peut réduire à ce qui serait leur sujet ou bien à ce qui en a constitué le motif. De chacun, il lui importe de transcender l’espace strictement découpé, les formats variant peu, et non pas de le remplir. C’est ainsi que le travail du peintre délimite un lieu dans lequel se manifestera une présence, une table, un chien, un être humain, qu’importe, mais donnée à voir, à la fois proche et irrémédiablement lointaine puisque insaisissable. Et cela vaut la peine d’être essayé encore et encore. Ou, pour le dire avec les mots de Leiris concluant un portrait de Giacometti : « Sans se déprendre de ce qu’en tous temps et en tous lieux maints artistes ont produit d’exaltant, reprendre l’art comme s’il n’était pas inventé encore et aussi éloigné de la naïveté feinte que du primitivisme voulu, refaire chaque jour l’immémoriale invention qui restera toujours à faire.
Extraits de « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux »   – Christian Maisonneuve, 2021