Dans « l’eau et les rêves », Gaston Bachelard écrit :
« Ce n’est pas l’infini que je trouve dans les eaux, c’est la profondeur »
On se doute alors que pour aborder le thème, l’artiste va devoir chercher en lui, au plus profond de sa conscience et de son inconscient.
Les pistes sont nombreuses dans le large spectre entre « eaux douces » et « eaux dures » : la poésie de l’eau, bien sur, mais aussi les images symboliques de l’eau, la gestion de l’eau, l’eau caressante, l’eau destructrice, le manque d’eau, le trop d’eau…
C’est à ce défi que 15 artistes ont accepté de répondre en peinture, dessin, céramique, photo, sculpture… les artistes se sont « mouillés » sans se « noyer» dans cette entreprise périlleuse, sous la surveillance bienveillante de la majestueuse cascade de Salles la Source qui, par sa présence entêtante à quelques pas de la galerie, fait totalement partie de l’exposition.
Il y a donc les œuvres d’Anne BAIL DECAEN, Serge BONNET, Marie-Claude CAVAGNAC, Patrick CAYROU, Didier ESTIVAL, Thibaud FRANC, Frédéric FAU, Jean-Luc FAU, Giselle GARRIC, Véronique GERBAUD-LAMBERT, JC LEROUX, Sophie PEYNET-CHAUVEAU, Guy SOUNILLAC, Karine VEYRE, et Thomas DE VUILLEFROY.
BAIL DECAEN Anne
Anne Bail Decaen est née en Normandie, en 1973.
Diplômée en anthropologie et en lettres, elle a travaillé plusieurs années dans le réseau de la Francophonie, aux Etats-Unis, en Europe, en Afrique et dans l’Océan Indien, avant de se consacrer exclusivement à la peinture et au dessin.
De ses voyages et séjours à l’étranger, elle a gardé des traces, qui, au fil du temps, se sont transformées en un pays intérieur où fusionnent les géographies et les temps.
Elle vit aujourd’hui à Millau.
BONNET Serge
L’art de Serge Bonnet est un voyage intérieur, une quête métaphysique où l’abstraction devient son langage pictural. Ses réponses révèlent une profondeur insoupçonnée, un désir d’évasion de la figuration humaine pour explorer les états intérieurs, les questionnements existentiels. Il embrasse l’abstraction comme miroir de son être intérieur.
Dans son atelier, la création est un voyage imprévisible. Ses toiles, comme des territoires inexplorés, se dévoilent lentement sous ses pinceaux, reflétant ses émotions, ses doutes, ses aspirations. Il cherche à capturer l’indicible, l’essence même de la vie.
Dans son questionnement métaphysique il préfère laisser ses œuvres parler d’elles-mêmes, sans s’égarer dans les méandres de l’explication. Il a renoncé complètement à la figure humaine, refusant la représentation du monde au profit d’une expression plus profonde, plus universelle.
Dans cette conversation, l’artiste se révèle, fragile et puissant à la fois, un explorateur solitaire des territoires de l’âme.
Sabine Glaubitz
CAVAGNAC Marie-Claude
Avec ce thème sur l’eau je suis revenue à une couleur longtemps abandonnée, et j’ai eu du plaisir à retrouver des émotions « oubliées ».
Mon geste me porte spontanément à rechercher le mouvement ou l´ambiance la plus juste, c’est à dire celui ou celle qui traduit avec le plus de fidélité mon état du moment. J’ai juste envie d’offrir une émotion.
Pour moi la peinture est un trait d’union entre la lumière et l’obscurité, entre l’espace et la durée pour montrer que si tout est passage tout est aussi continuité.
Il y a toujours un écart entre ce qui se voit et ce qui est vraiment .
“La peinture est, pour moi, juste un moment de sincérité.”
CAYROU Patrick
Né en 1954.
Après des études d’architecte à l’école d’architecture de Versailles et une carrière professionnelle dans l’Aveyron, je consacre, depuis début 2018, une partie de ma retraite à la photographie.
Depuis l’enfance je suis intéressé par le monde de l’art et plus particulièrement l’architecture, la peinture, la sculpture mais aussi par l’image.
Une image qui fixe un évènement, un instant, le temps qui passe, le temps passé, une image qui incite à la contemplation, à la rêverie qui provoque une émotion, des interrogations.
«J’aime le silence qu’il y a dans une image, j’aime qu’on puisse s’y perdre tout en se posant des questions. J’aime cet aller-retour de la pensée et de l’oeil quand on regarde une photographie.»
Agnès Varda
Cet intérêt a provoqué une envie de créer mes propres images et l’appareil photo s’est révélé comme le médium pouvant répondre à mes attentes.
Mon but, comme certains peuvent l’évoquer, n’est pas d’établir une relation avec le monde, je souhaite simplement créer des photographies qui mettent en lumière et témoignent de mon univers proche (monde rural, paysages, vie sociale et culturelle, famille, …), de pouvoir les regarder tranquillement, parfois après un long oubli sans avoir peur que l’instant figé sur la photo ne s’évanouisse, une photographie qui devient avec le temps qui passe plus forte que le souvenir.
ESTIVAL Didier
J’habite Rodez dans l’Aveyron. Autodidacte. Je dessine depuis l’enfance. Je fais des allers retours entre le dessin, la peinture, la sculpture, et les installations. Je revendique ma liberté de créer ce que je ressens en abordant très modestement dans ce travail plastique, la souffrance, la maladie, la mort, la passion, la jouissance, la vie. Je puise mon inspiration dans ma révolte intérieure, ma colère, ma peine, mais aussi mes joies qui deviennent mon matériau à création. Je ne me réclame d’aucune chapelle, d’aucun mouvement particulier…
Je travaille depuis quelques années essentiellement sur deux séries de dessins et épisodiquement je reviens à la peinture de paysages.
FRANC Thibaud
Né en 1976 à Bordeaux près du Jardin Public dont il sciera plus tard les barreaux afin d’y entrer la nuit, lorsque les pelouses sont laissés aux animaux, Thibault Franc est un artiste à l’image de ces espaces urbains, entre sophistication et retour à la nature.
A une époque de désordre croissant et de destruction, il tente de renverser l’entropie, contenir les forces centrifuges, par ses assemblages, images liées ou objets composites. Ce plaisir d’entrechoquer les formes ne s’exerce pas au hasard, mais à travers l’ancrage conscient dans un territoire culturel, Arles et la Camargue, au cœur d’une crise de société où l’art et l’intuition peuvent contribuer à proposer un nouveau rapport au monde. Avec ironie face aux problèmes, Thibault Franc fait surgir les étincelles du fantasque et du trivial accouplés, du populaire et du savant. Empruntant aux registres de l’histoire de l’art comme à ceux de l’ésotérisme ou de la science-fiction, il nous restitue une culture ensauvagée, à la fois plus drôle et plus inquiétante.
Depuis 2019, Thibault Franc a quitté la ville pour se confronter à la réalité de la petite paysannerie en Aveyron, confrontant sa curiosité d’artiste à des questions de biodiversité, de paysagisme et d’autonomie. Dans cette proximité colorée avec les plantes, les bêtes, les éléments, le dessin constitue pour lui un lien avec la société des hommes, immensité bruissante et connectée, tout en partageant un regard amusé sur la civilisation vue depuis les forêts.
FAU Frédéric
Souvent ma peinture longe des berges, les gestes y inscrivent des ripisylves approximatives.
La toile se construit au fil de séances d’atelier où la fluidité de la matière guide le pinceau.
Le noir et le blanc ménagent le trouble, l’indistinction des espaces proposés.
Ce sont des paysages de peinture, où le réel est tenu à distance, affleurant par moment dans la vraisemblance que peut produire la conjonction de la mémoire, du geste et du hasard.
La surface de la toile devient surface aqueuse aux profondeurs imprécises, la peinture, matière figée, y redevient liquide.
Tourbières, marais, mangroves, l’eau serait volontiers trouble, saumâtre, limoneuse.
Parfois ce sont des étendues paisibles, comme gelées, ou immobiles, peut-être écrasées par le soleil.
Des éléments traversent le tableau, se répètent en échos, se dissolvent et se reconstituent, les rémanences graphiques se font reflets.
De la potentialité de ces espaces imaginaires émergent assurément de l’eau et des rêves.
FAU Jean-Luc
L’eau est un territoire flou, un « entre deux » qui évolue entre réel et imaginaire, un espace ou le rêve se suscite et se révèle.
A son contact, visuel ou physique, notre inconscient se nourrit de cette matière fuyante ou stagnante, calme ou rapide, apaisante ou inquiétante et nous entraine au fil de nos rêves éveillés.
De l’eau miroir à l’eau aveuglante, l’eau est paradoxes
Les possibilités de traduire cette complexité sont infinies dans le large spectre entre « eaux douces » et « eaux dures ».
Je me suis laissé porter ou le courant de l’imaginaire à bien voulu m’amener…
GARRIC Gisèle
Inspirée par la nature et par le grand potier Bernard Palissy, l’eau est souvent représentée dans mes céramiques ;
Les personnages fantastiques comme les bustes ou bien les « têtes de fontaines » ornés de coquillages viennent d’un imaginaire où des morceaux de sculptures de grottes de la renaissance auraient traversé le temps !
Coquillages, crustacés et batraciens s’invitent aussi dans des plats ou bien sur les panses des vases évocateurs de la rivière, de l’étang et de l’océan…
Mes créations proposent aussi d’improbables rencontres où Eau douce et eau salée se côtoient tout comme nos escargots terrestres coexistent avec le bulot entre autres ; On peut apercevoir le visage d’Ophélie parmi les nénuphars !
Plus récemment, mes sculptures en monochrome bleu intitulées « Rochers anthropocène » ou « fond marins » sont des agglomérats de déchets du quotidien mêlés à la faune marine ; on peut y voir des mains, des pieds car l’humain souffre lui aussi dans cette nature perturbée…
Je crée mes faïences grâce à différentes techniques telles que l’utilisation d’empreintes, le moulage (en plâtre uniquement), le modelage et l’estampage. Il m’arrive aussi d’apposer un décor en relief sur des vases déjà tournés.
GERBAUD-LAMBERT Véronique
De nos lectures anciennes à la mémoire incertaine, ou, du souvenir de nos rêves engourdis naissent parfois des paysages vaporeux aux brumes magiques, un monde où les hauts de Hurlevent côtoient et se mêlent aux montagnes des contes japonais. Dans cet entre-deux flou et mystérieux se dessinent les paysages de Véronique Gerbaud Lambert. Des visions éphémères de paradis imaginaires ou de paradis perdus. Une nature fertile qu’on imagine verdoyante mais qui ne se livre jamais totalement, où la couleur elle-même s’offre avec parcimonie, par éclat, mais sans exubérance. Arbres et fleurs surgissent du flou des lointains comme de petits feux d’artifices inattendus. De petites touches de couleur, à la délicatesse de porcelaine, presque transparentes, suffisent à Véronique Gerbaud Lambert pour nous projeter dans cet imaginaire suspendu.. Ancrée non pas dans une tradition , mais nourrie d’histoires (d’histoire) , sa peinture est à la fois classique et contemporaine. L’artiste trace son chemin, non pas à l’image d’un sillon, mais à pas feutrés, légers et silencieux avec l’humilité des grands maîtres . Une peinture délicatement sophistiquée, où la technique n’est jamais démonstrative simplement maitrisée.
Thierry Dalat
LEROUX JC
« Et l’Éternel dit : J’exterminerai de la face de la terre, l’homme que j’ai crée, depuis l’homme jusqu’au bétail, aux reptiles, et aux oiseaux du ciel ; car je me repens de les avoir faits »
C’est par cela qu’est désignée la fin du monde dans la genèse judéo-chrétienne, et d’ajouter : « Les eaux grossirent de plus en plus, et toutes les hautes montagnes qui sont sous le ciel entier furent recouvertes »
Livre de la Genèse (VI, 7) / (VII, 19)
PEYNET-CHAUVEAU Sophie
Educatrice technique spécialisée, Sophie Peynet-Chauveau a créé il y a 33 ans un atelier céramique au sein de l’Institut médico-éducatif où elle travaille.
Pendant plus de vingt ans, elle a exposé le travail des jeunes dans les lieux publics de la ville de Millau et a mené différents partenariats auprès d’écoles primaires autour de l’acte créatif.
Elle a enrichit ses pratiques par de multiples formations chez différents céramistes en France et à l’étranger (Afrique et Chine).
Par la reprise d’étude en 2004 avec l’obtention d’un D.U en arts appliqués en céramique à Nîmes.
En 2009, elle suit une formation en Chine à la manufacture de Jingdezhen sur les techniques ancestrales de la porcelaine. Puis elle sera diplômée en 2022 de l’EMA-CNIFOP centre international de formation aux métiers d’art et de la céramique.
Ses derniers travaux sont retenus lors d’expositions collectives en 2022 au Musée du Grés de Saint Amand en Puisaye et en 2024 au Musée de Millau MUMIG dans « Autochtonie ».
Aujourd’hui installée en Lozère, elle consacre de plus en plus de temps à sa création et à ses recherches sur les hautes températures.
Passionnée par le feu et la fusion de matières, les recherches empiriques de Sophie ont données naissance à ce qu’elle nomme de « l’écume de verre ». Son but est de faire apparaître de l’eau à travers le feu pour lui donner un aspect vivant. Pousser les limites de la matière jusqu’à en saisir l’équilibre.
SOUNILLAC Guy
Né en 1941 dans une famille d’artisans-peintres, attiré dès son enfance par le dessin et la peinture, canalise ses aspirations par des études artistiques et une vie professionnelle de peintre-décorateur pendant 40 ans.
Retrouve ses premières sensations artistiques dans la quiétude d’une retraite aveyronnaise.
VEYRE Karine
Que ce soit dans mes dessins, mes peintures ou dans mes gravures, l’eau est un sujet omniprésent depuis presque 20 ans : Diluviennes, cascades et falaises, neiges, luxuriance, surfaces et reflets. L’eau nettoie (les blessures) mais peut aussi tout balayer sur son passage. Que l’on parle de son aspect ou de son énergie, l’eau est partout, précieuse et plus que jamais à considérer et à respecter.
Dans les dessins que je vous propose, il est question de surfaces, de profondeurs et de fragilité. Ces variations du reflet sur l’eau traduisent des espaces naturels sensibles, des zones humides, des marais. Vous naviguerez en surface, raccrocherez votre regard à une frêle branche ou plongerez dans ses variations, ses ondes et ses lumières.
Les gestes répétés du fusain et de la gomme guident la représentation. Ma dernière résidence d’artiste en 2024 à Caylus (82) a permis d’impulser ces nouvelles recherches. Ce sont mes pratiques en dessin, peinture (couleur) et gravure (geste) qui m’ont amenée à cheminer vers ce résultat.
La proposition de la galerie de la Cascade ici à Salles-la-Source, à savoir la réalisation pour l’exposition de grands formats, permet une continuité et une ouverture vers une nouvelle dimension, idéale pour une immersion dans l’image.
Merci d’avoir pris le temps de lire ces quelques lignes et bonne visite.
DE VUILLEFROY Thomas
Formé à Penninghen en Arts-Appliqués, puis aux Beaux-Arts d’Angers, j’ai reçu de quoi commencer une recherche graphique personnelle. Corps et âme dès 2006, le besoin de m’exprimer par la peinture fut vital. Je me suis essayé à différentes techniques. Fin 2012, j’ai découvert un nouveau genre de monotype. Dès lors, je m’applique à développer cette technique et perfectionne encore aujourd’hui la méthodologie qui me permet sans faire usage d’une presse, de réaliser des estampes quasiment sans limites au niveau des dimensions et qui seront toujours des œuvres uniques.
J’ai exposé au YIA en 2018 ainsi qu’à Art Capital; salon qui se tient annuellement au Grand-Palais à Paris, où j’ai reçu en cinq participations, quatre Prix dont le Grand Prix du Salon du Dessin en 2020. Au sein d’une galerie lyonnaise, j’ai aussi exposé à Art Paris deux fois, dont un solo show en 2021.
La peinture est à mes yeux un moyen extraordinaire de recherche. Il est toujours constructif. A la façon des maniéristes après Michel-Ange, j’essaye de peindre sans me décourager. Parce qu’au fond je suis persuadé que l’Humanité est trop jeune pour avoir fait le tour, en si peu de temps, de tout ce qu’elle peut voir d’elle- même et exprimer par la peinture. Je nourris alors une réflexion sur l’image et l’œuvre graphique depuis mes études. Pas de doxa; je suis ouvert à pouvoir m’exprimer tous azimuts.
J’ai commencé à peindre à la façon des expressionnistes allemands du début du siècle dernier. Je m’en suis éloigné en inventant ma technique de « Révélation » à l’encre de Chine. Les œuvres demandant beaucoup de travail et de temps, les sujets ont évolué. Je suis passé d’œuvres réalisées dans la journée, à des œuvres qui demandent plusieurs semaines et parfois des mois pour être enfin révélées. J’ai progressivement ouvert mon travail aux émotions positives. La vie de famille, mes enfants et mon épouse m’ont inspiré de nouvelles œuvres. Je me suis ouvert aux autres à ce moment, en leur donnant la possibilité de rentrer dans mon œuvre par une sorte de connivence d’esprit. Ils y ont trouvé une place qu’ils n’avaient pas à mes débuts.
Un fond de piscine où je nage, sûrement un fond de piscine d’une maison que l’on a loué en famille pour y passer nos vacances. J’ai demandé à mon épouse de me photographier en train de nager pour capturer ces reflets de lumière sur mon corps déformé. J’ai toujours été fasciné par les reflets de lumière sur les fonds de piscine. A mon avis ça ressemble à un langage pour l’écran, celui que je souhaiterais créer, c’est pour moi un symbole très fort.
La devise de la Famille de Rochechouart est Ante mare, undae (Avant la mer, les ondes). C’est complètement dingue de profondeur, presque extraterrestre. Et puis Gaston Bachelard a écrit L’eau et les rêves en 1942, j’ai lu cet essai alors étudiant aux Beaux-Arts, et j’en ai encore un souvenir vivant.
De Marcel Duchamp je retiens entre autres qu’il fit peindre sa concierge à sa place. Ça fait longtemps que je me suis approprié ce détail. L’intention compte et ma femme est meilleure photographe que moi. Alors je lui demande ceci, elle me fait cela et je regarde pour imaginer ce que je peux faire de ce cliché en sachant qu’elle passera par le filtre du rideau noir de la révélation. L’encre noire sera chassée sur le papier blanc, révélant mon intention, mais pas que… Il y a toujours des cadeaux.