THIERRY CARRIER

La marche des parallèles – du 27 juin au 27 août 2023

Né en 1973, Thierry Carrier fait un bref passage à l’Ecole des Beaux-Arts de Toulouse. Etabli à Souillac, dans le Lot, il se consacre à la peinture depuis plus de vingt ans. Il expose régulièrement à Paris, Lille, Lyon, Toulouse, Munich et bénéficie de nombreuses expositions institutionnelles.

Ses toiles, sans titres, sont codées et représentent le plus souvent des scènes improbables, voire irréelles… Ses personnages, hommes, femmes, enfants, semblent suspendus dans un environnement minimaliste.

Si l’on retrouve des personnages emprunts de réalisme dont certains partagent notamment les traits de son visage, l’artiste cherche à s’affranchir de l’attention portée aux caractéristiques physiques du sujet traité. Les postures immobiles et les regards neutres, absents ou masqués de ses personnages dégagent un sentiment de mystère encore amplifié par les fonds “floutés”, quasi abstraits. 

Dès lors, l’oeuvre dirige notre attention, non plus sur l’aspect physique du sujet, mais sur l’atmosphère qui imprègne la toile. Le temps s’est arrêté. La peinture de Thierry Carrier est énigmatique, sensible et profonde. Silencieuse également… L’artiste en parle en ces termes : “On se retrouve devant différentes mises en situation d’un état, un monde de silence, une representation dépouillée de l’Homme, un être en suspens et insondable, une peinture reflétant ma propre aspiration au silence.”

Chaque chapitre marquant l’existence, qu’il révèle une maladresse récurrente, une timidité, ou ce complexe d’infériorité qui trop souvent nous porte à croire que nous pourrions avoir notre place nulle part, peut nous transporter vers la lumière. 

J’ai 4 ou 5 ans, à l’école maternelle de Souillac, petite commune du Lot (46). J’ai 48 ans aujourd’hui et je m’en souviens comme si c’était hier. Première sensation de ce complexe d’infériorité, première étape inconsciente de ma construction d’artiste. Je peins un décor avec d’autres élèves, un château pour le spectacle de fin d’année je crois. Un autre groupe travaille sur la confection de coussins. Je plonge mon pinceau dans le pot et j’applique un peu trop violemment la peinture, de petites gouttes de couleurs (chatoyantes) se retrouvent projetées sur les autres élèves, tachant au passage leurs coussins. Résultat, Je prends une gifle par la maîtresse. Et oui, à l’époque on a le droit de frapper des enfants. Sentiment de honte…

Voilà un des nombreux chapitres qui ont fini par m’installer hors des clous. Peur de mal faire, peur de dire des conneries… La découverte de la peinture s’assortit par la suite de sensations nouvelles et douces : je réalise qu’en partant d’un gribouillis, l’image se révèle. Je suis adolescent, je ne sais pas ce que je peins mais je sais que ça me fait du bien. Se retrouver seul, enfermé, ne me semble plus être un signe de faiblesse pour échapper au monde. L’atelier devient un espace de liberté totale, où je ne risque pas de prendre une gifle par une maîtresse acariâtre. Paradoxalement, de cet enferment découle une ouverture sur le monde. 

Que c’est bon de se tacher ! Que c’est bon d’être qui on est avec cette douce sensation d’accepter de l’être ! Retour en arrière : 1990, lycée à Aurillac (15). Ma prof d’expression plastique nous présente dans la salle de projection Les Ailes du désir (1987), d’un réalisateur que je ne connais pas encore, Wim Wenders. L’histoire de Damiel et Cassiel, anges invisibles et immortels, qui scrutent Berlin et errent parmis les humains jusqu’au jour où l’un d’entre eux s’éprend d’une belle et solitaire trapéziste, Marion, et renonce à l’immortalité afin de goûter aux plaisirs sensoriels de la vie humaine. Je sors de cette projection avec l’intime conviction que mon travail sera celui-là : une recherche visuelle portant sur l’humain, l’introspection de l’être, celle de mon être où atteindre les cieux se passera bel et bien sur terre, en oeuvrant pour l’amour de l’autre, pour l’amour d’une autre et surtout pour l’amour de moi-même.

Viennent ensuite les Beaux-arts à Toulouse (31), véritable désillusion. Dans les années 2000 je travaille au Frac d’Auvergne à Clermont-Ferrand (63), expérience enrichissante. Aujourd’hui, l’art est là pour transcender le réel dans ce qu’il a de plus vrai. La peinture n’est qu’un médium pour révéler cette réalité, ma réalité. Les tableaux que l’on peut voir lors d’une exposition n’ont pas plus d’importance que de simples galets ramassés sur une plage. Ce qui m’intéresse n’est pas le galet mais la plage elle-même, avec en ligne de mire un horizon, où l’inconnu tient de ce parfait équilibre jubilatoire entre le dessous et le dessus. Sur ce fil tendu inatteignable, vers lequel se porte en permanence mon regard et sur lequel je ne marcherai jamais. Mon métier d’artiste est un garde-fou : avec lui j’aurai toujours le pouvoir de ne pas chuter de part et d’autre de cette ligne. Je peins donc je suis et comme je suis, je n’aurai jamais la prétention d’être au-dessus et ferai en sorte de ne jamais tomber en dessous.Aujourd’hui j’ai la chance de vivre de mon travail, en collaboration avec la Galerie Bayart. Et je vis avec une maîtresse d’école. Comme quoi, je ne suis pas rancunier.

– Thierry CARRIER